Les relations D/s abusives
C’est avec un petit (gros) pincement au cœur que je vous rédige cet article. Il ne reflète absolument pas l’image que je veux/peux me faire de mes pratiques, de mes valeurs, BDSM ou non. C’est un article triste à écrire, mais cependant nécessaire. D’ailleurs, je me surprends de l’écrire aussi tardivement, sans doute parce que dans le passé, je me souciais davantage de renvoyer une image 100 % positive du BDSM, désormais, je mise plutôt sur la transparence, coûte que coûte, même si parfois ce n’est pas aussi rose qu’on se l’imagine. Mes années d’expériences dans ce milieu m’ont permis un regard à 360 degrés sur tout ce qu’il se faisait, dans le bon tout comme dans le mauvais. J’aimerais donc évoquer tout particulièrement dans cet article les relations abusives dans le milieu.
Nous le savons, la base de la relation D/s c’est l’échange des pouvoirs : donner sa confiance et son libre-arbitre. Donner davantage de pouvoir sur soi à l’autre. Ce don de soi qui rend la personne soumise vulnérables (non pas faible, ce qui n’est absolument pas la même chose). Se rendre vulnérable, se donner sans limites, c’est ce qui fait la beauté et la force de la relation, mais aussi, paradoxalement, ce qui la rend plus dangereuse à bien des égards.
Qu’il s’agisse d’abus sexuel, d’abus de confiance, d’abus de pouvoir, rien ne doit être pris à la légère, vraiment. Se sentir aimé et entouré pendant des années et prendre la porte du jour au lendemain par exemple est une situation psychologiquement catastrophique et dévastatrice à vivre, il faut le vivre pour le comprendre, malheureusement. Vivre une séance ou l’on ne se sent pas entendu ni écouté et finir par se sentir physiquement abusée même s’il n’est pas question d’acte sexuel a proprement dit l’est tout autant. Il n’y a pas de blessures plus ou moins grave de mon point de vue. Qu’ils soient d’origine physique ou psychologique, nous savons tous que les dommages réels et irréversibles sont toujours psychologiques. Et que les blessures les plus profondes et douloureuses sont invisibles et parfois même bien cachées…
Nous avons tous autour de nous au moins un exemple d’une relation BDSM devenue toxique. Je pense aussi qu’il n’y a parfois qu’un fil entre la relation saine est la relation abusive. Qu’il soit question de douleur physique ou psychologique. Aussi, il faut garder à l’esprit qu’être en phase constamment sans la moindre faille, c’est une utopie. Voilà pourquoi la communication est aussi fondamentale. Avoir la liberté d’exprimer mutuellement ses angoisses, ses moments de rupture, ses échecs dans les séances ou le quotidien. A votre avis, quel pourcentage de soumis.e ose dire lorsque cela est nécéssaire et en toute transparence « Avec tout le respect que je vous doit, vous avez été trop loin cette fois » ?
Quid du « Safeword » alors ?
Et bien évidemment, certains d’entre vous pensent au safeword. On en parle du safeword, à toutes les sauces, mais dites-moi qui osent le dire quand il est vraiment nécessaire de le faire et qui en reparle après de ce safeword évoqué lorsque c’est le cas ? On évoque une couleur ; rouge, orange et après on next, en culpabilisant d’avoir “osé” prononcé ce safeword. J’ai longtemps cru que de ne pas évoquer ce safeword, c’était montrer que mon couple BDSM était en phase, que jamais mon Maître ne se trompait sur ce que j’aimais ou pas, ce que je pouvais tolérer ou pas. Je l’ai pourtant ravaler quelques fois par fierté et par abnégation en vérité. Je me disais que j’allais passer pour une mijaurée et remettre en question les choix de mon Maître pour moi. Par peur de blesser mon Maître dans son égo, de le faire culpabiliser. Et d’ailleurs, nous savons aussi que l’aspect douloureux des séances ne représente sans doute qu’une partie infime des relations D/s alors pourquoi n’y aurait t’il de safeword que pour les douleurs physique, tout en sachant bien que dans 99 % des relations BDSM toxiques, il ne s’agit pas de douleurs physiques. N’y aurait-il pas un safeword (=la communication) qui fait défaut dans tout ça ?
L’ego du dominant
Je voulais également évoquer ce sujet, car j’ai le sentiment que tout démarre d’ici. Les erreurs qui conduisent aux échecs, l’ego qui conduit à la « rupture de contact » entre un.e dominant.e et un.e soumis.e. Tout est question d’ego et c’est justement là que le bât blesse généralement… J’ai l’impression que les Maîtres ont énormément d’ego, cela va de soi, mais, avec tout le respect que je dois à tout le monde ici-bas, personne n’est parfait. Lorsqu’il serait louable et noble de reconnaître ses erreurs, certains dominants préfère nier certaines vérités pour ne pas reconnaître un échec, une faille, une faiblesse et « entacher » aux yeux de leurs soumises de le leur entourage cette image qu’ils se font d’eux même. Heureusement, ce n’est pas le cas de tous, mais je trouve que c’est un trait de caractère assez commun à bon nombre de dominants. L’erreur est humaine, même lorsque l’on est dominant dans le BDSM. Être dominant ne fait pas d’eux des machines, et heureusement d’ailleurs. Nous avons tous des moments où nous n’avons pas été aussi exemplaires que nous l’aurions aimé, qui que nous soyons. C’est pour moi une sacrée preuve de courage de le reconnaître. Je pense qu’un.e soumis.e préférera toujours un.e dominant.e humble avant toute chose. Concernant l’ego, je trouve notamment que les réseaux sociaux creusent malheureusement ce phénomène, où certaines peuvent passer le plus clair de leur temps à démontrer continuellement leurs vertus à tout bout de champ, à qui sera le meilleur, le plus intelligent, le plus classe, le plus mature, le plus inclusif, le plus respectable, le plus connu, etc… Sans jamais vraiment témoigner de leurs propres vulnérabilités. Pour faire la leçon aux autres oui, sur ce qui est bien, ce qui ne l’est pas. C’est un jeu bien dangereux auquel tout le monde se prête sans trop s’en rendre compte. Les faiblesses sont pointées du doigt, le jugement est partout, et la machine semble tellement bien huilée qu’une marche arrière me paraît impossible. Je pense aux mails discrets que je reçois, aux dominants perdus et hués pour quelques échecs, à ceux qui s’enfoncent et s’autodétruisent pour sauver les apparences, je trouve ça bien dommage…
Les amalgames…
Je pense aussi qu’il faut pondérer mon propos. Il y a une différence majeure, un océan, entre l’erreur qui blesse et l’abus de faiblesse qui s’installe petit à petit, insidieusement, dont jouissent certains hommes. Je dis bien certains hommes (BDSM ou non d’ailleurs), car je ne voudrais surtout pas mettre tout le monde dans le même panier. Il ne faut pas croire non plus que tout les dominant.e.s abusent de leur pouvoir. Comme j’ai pu l’écrire précédemment, l’ego de chacun, la communication mise en place et la confiance mutuelle sont déterminants. Tout le monde fait des erreurs, reste à savoir ce que vous décidez d’en faire ensuite ? En parler à deux, en toute transparence, s’excuser ? Recommencer ? Où choisir d’apprendre de ses erreurs pour justement ne plus jamais recommencer ? Préférer reconnaître son tort plutôt que de considérer ceux de l’autre pour responsable ?
L’abus volontaire et involontaire ?
Je pense que les deux cas de figure se présentent et qu’il ne faut surtout pas les confondre. D’un côté ceux qui aiment le BDSM pour cette raison bien précise ; faire le mal plutôt que le bien et en tirer un plaisir certain. Autrement dit, les pervers narcissiques. Des hommes qui n’accepteront jamais aucun tors et qui saurons manipuler l’autre pour le détruire petit à petit, de l’intérieur, dans la culpabilité et le rabaissement permanent. Je regrette d’avoir à le dire, mais le BDSM est un milieu plus qu’idéal et propice à l’épanouissement de ce genre de profil psychologique. Et d’un autre côté, les hommes plus maladroits, qui ne voient pas, par manque d’expérience ou de finesse d’esprit, qui vont parfois trop loin, et qui ne tirent pas de leçons suffisantes pour ne pas reproduire. S’en suit parfois des réactions en chaîne qui conduisent à la rupture.
Se reconstruire après un abus…
Évidemment qu’il est possible de se reconstruire. Il est toujours possible de le faire. Simplement, il faut avoir la force intérieure pour cela, et vous êtes vous-même, la seule personne capable de cela. Vous pouvez être aidé bien sûr, mais cela viendra toujours que de vous. Ne comptez sur les autres pour vous remettre debout, comptez sur vous, croyez en vous avant tout. Il faut savoir qu’heureusement, tout le monde ne cherchera pas à abuser de vous, que votre tempérament de soumise n’est pas votre faiblesse, mais c’est l’une de vos plus grandes forces intérieures. Savoir se donner, c’est avoir la confiance absolue en l’autre, c’est pourquoi il n’y a qu’un point à ne jamais négliger si vous voulez vous engager à nouveau sans risquer de nouveaux déboires : la confiance. Elle doit être absolue et si vous ne la ressentez plus, alors, n’ayez pas peur de quitter. Parlez-en aussi, ne vous enfermez surtout pas, c’est tellement important.
Aider l’autre à se reconstruire.
Si vous êtes dans ce cas de figure, votre rôle est alors fondamental, vraiment. La tâche est lourde, sans doute. Il faut avoir les épaules pour cela, sans doute aussi, mais il faut le faire. C’est aussi ça dominer, prendre l’autre dans son entièreté et avec son passé, prendre le temps avec elle d’aller à son rythme, et de ne surtout rien négliger… C’est aussi dans ses actes fort que vous prenez cette place noble à nos cœurs que celle du Maître déifié, vénéré. Prendre soin, redonner confiance, permettre un renouveau sont des choses qui vous concernent totalement et dont vous êtes responsable en tant que dominant.e.
Petits tips : ne pas hésiter à demander les recommandations et entrer en contact avec les relations passées de votre Maître.sse ou soumis.e pour savoir et « juger » par vous-même. Pour avoir une petite idée de ce dans quoi vous vous engagez. Que l’on soit Dominant.e ou soumis.e. vous verrez, c’est imparable ! Même s’il faut toujours en prendre et en laisser bien sûr, à vous de vous faire votre avis. Il n’existe pas de meilleures cartes de visite pour se faire connaître sans détour ni faux-semblants.
Je voulais terminer sur ce point, sur la valeur que l’on se donne. Qui que vous soyez, il est important de se donner de la valeur, toujours. Même si vous êtes soumis, surtout si vous êtes soumis, car je sais que vous avez sans doute tendance à penser que votre statut vous dévalorise. Ce qui est totalement faux, vraiment ! Vivez, vivez intensément, ne vous dévalorisez pas surtout et apprenez ou réapprenez à faire confiance sans jamais sabrer vos limites uniquement pour le plaisir de l’autre à votre détriment.