Fable
Louer une chambre d’hôtel pour un couple illégitime, quoi de plus banal. Lui est un cinquantenaire qui travaille dans un grand groupe automobile et assiste au rassemblement annuel des cadres. Elle, elle a posé deux jours pour le rejoindre, après avoir confié ses enfants à sa mère, prétextant un stage imposé par son entreprise.
Durant la journée, elle est libre d’aller et venir dans cette ville qu’elle découvre. Sa seule obligation est de réaliser les achats qu’il lui a imposés et d’être de retour pour la fin de la journée. Elle a ainsi la délicieuse sensation de se sentir en vacances. Le plaisir de la découverte et l’excitation de le retrouver lui font rapidement oublier ce léger sentiment de culpabilité à l’idée de laisser ses enfants derrière elle. Il y a tellement longtemps qu’elle n’a pas connu d’homme auprès de qui s’abandonner.
Un mariage de bonne heure, deux enfants et un divorce douloureux, voilà son bilan alors qu’elle approche les quarante ans. Elle a fait la connaissance de cet homme sur un site de rencontres. Quoi de plus simple que décrire l’homme idéal qui saura l’épanouir. Les premiers échanges lui ont laissé entrevoir un homme prévenant, cultivé, soucieux de ses états d’âmes. Est venu le temps des confessions, ils se sont découverts des points communs et lui s’est mis à lui confier son jardin secret : il prend plaisir à soumettre les femmes qu’il rencontre lors de ses déplacements professionnels. Il ne lui a pas caché qu’il n’était pas à sa première expérience et l’a fait frémir en lui racontant les jeux auxquels il se livrait. Il n’a cité aucun nom, délivré aucune photo – ce qui l’a rassuré ; cet homme ne semblait pas être un prédateur. Il lui a seulement dévoilé des écrits intimes qu’elle a lus, les tempes en feu, la gorge sèche
A Votre demande
courbée
comme une fleur
sous le vent
Sur Votre ordre
Corps offert
à la morsure
de la badine
Sous Votre joug
subir l’épreuve
la peur bousculée
le souffle haché
A Vous
j’offre ma douleur
comme une fleur
en pleurs
Comment est-il possible d’écrire un tel texte et revendiquer ainsi une douleur imposée ? Alors, elle s’est mis à lire et à s’immerger dans le monde de ces soumises si fières de se donner aux ordres de celui qu’elles appellent Maitre. Elle en avait le vertige, jamais elle n’avait imaginé qu’un homme puisse traiter une femme ainsi. Jamais elle n’avait pensé qu’une femme serait si heureuse ainsi.
Garder en bouche
le goût du cuir
pour se souvenir du jour
où Vous m’avez ordonné
de baiser vos chaussures
Garder en bouche
le goût du cuir
pour conserver en mémoire
cette ceinture mordue
pour ne pas crier
Garder en bouche
le goût du cuir
pour ne pas oublier
les marques rougies,
puis bleutées peu à peu effacées
Garder en bouche
le goût du cuir
pour rêver à cette nuit
où j’ai dormi nue à Vos pieds
recouverte de votre blouson
Petit à petit, elle a pris leurs places, ses rêves étaient peuplés de cris et de femmes enchainées. C’était elle désormais qui s’inclinait, c’était elle que l’on fouettait, c’était elle qui était prise et qui feulait comme un animal. Elle se réveillait, le ventre en feu, avec un besoin de se caresser et d’obtenir par un orgasme provoqué un semblant de sérénité.
A Votre demande
je me suis inclinée
et j’ai baisé vos pieds.
A Votre demande
je me suis cambrée
offrant mes orifices
ne devant plus bouger.
A Votre demande
je me suis mordue les lèvres
quand vous m’avez pénétrée
le silence Vous aviez exigé.
A Votre demande
j’ai embrassé Votre sexe
je l’ai nettoyé
n’osant Vous regarder
Vous m’avez laissée attachée
les seins lacérés
Le sexe irrité
l’anus forcé
Elle se voyait nue, assise au bord d’un fauteuil, les bras étirés à l’arrière, les chevilles attachées, les jambes écartées, son sexe obscène à la vue de tous, à la portée de chacun. Quelqu’un lui mettait un bandeau sur les yeux et d’un seul coup, elle se retrouvait entourée de plusieurs personnes qui se moquaient de sa pose, des mains glissaient sur elle comme autant de caresses, giflaient ses seins qui se durcissaient de douleur, investissaient sa bouche et son sexe sans ménagement. Une boule de feu s’emparait d’elle. Elle se voyait se tordre de plaisir avant d’être détachée et livrée aux plaisirs des hommes et des femmes assemblées autour d’elle.
Lui ne faisait rien pour la contredire, laissant entendre qu’elle pourrait tout vivre à ses côtés.